Green Hushing: Quand la peur du jugement pousse au silence

Partagez

Craignant les répercussions négatives, un grand nombre d’entreprises ont décidé de s’enfermer dans le mutisme, préférant taire leurs initiatives pour l’environnement. Ainsi, après l’ère du greenwashing, nous assistons maintenant à l’émergence du green hushing.

Qu’est-ce que le « green hushing » ?

Le « green hushing » désigne la pratique par laquelle des entreprises choisissent de ne pas communiquer ou de minimiser la communication sur leurs efforts en matière de développement durable, par crainte d’être accusées de pratiquer le « greenwashing ». Le « greenwashing », ou écoblanchiment, est une tactique utilisée par certaines organisations pour se présenter faussement comme respectueuses de l’environnement, en exagérant ou en inventant les bénéfices écologiques de leurs produits ou activités. Xavier Font, expert en marketing du développement durable à l’Université de Surrey, au Royaume-Uni, définit le green hushing comme la réduction volontaire de la visibilité des actions durables d’une entreprise, par peur des conséquences négatives ou d’être perçue comme incompétente en matière d’écologie.

En France, la lutte contre le greenwashing est renforcée par l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), particulièrement depuis la loi Climat et Résilience qui introduit des sanctions sévères contre l’écoblanchiment. Cette loi prévoit des peines d’emprisonnement et des amendes importantes, qui peuvent aller jusqu’à la totalité du budget de la campagne publicitaire mensongère.

La notion de neutralité carbone a été critiquée pour son usage abusif, sans fondement scientifique, comme l’explique Jane Vuillier de Querceo. Elle souligne qu’aucun produit ne peut réellement prétendre à une neutralité carbone, car ce concept doit être évalué à l’échelle planétaire.

Le phénomène a gagné en notoriété suite à un rapport de South Pole, une entreprise suisse spécialisée dans le conseil en finance carbone, publié après octobre 2022. Ce rapport révèle qu’une grande majorité des entreprises sondées ont fixé des objectifs de réduction de carbone, mais une portion significative hésite à les rendre publics, préférant minimiser leurs actions au-delà du strict nécessaire. Cette tendance est particulièrement marquée en Belgique, où 41 % des entreprises avec des objectifs climatiques basés sur la science choisissent de ne pas les divulguer. La réticence à partager les progrès en matière de développement durable est vue comme un obstacle à l’inspiration mutuelle et à l’avancement collectif vers des pratiques plus écologiques.

À quoi cela ressemble-t-il dans la pratique RSE ?

Dans une démarche illustrant le concept de « green hushing », EPSA, une société de conseil engagée dans le changement, a opté pour une approche réservée concernant la promotion de ses actions écologiques et sociales. Cette décision a été prise malgré la mise en œuvre de plusieurs initiatives importantes. Parmi celles-ci, on note la création d’un fonds pour financer des organisations non gouvernementales partenaires, la formation de 80% de ses employés aux défis du changement climatique à travers des ateliers éducatifs, et l’élaboration d’une politique rigoureuse pour réduire son empreinte carbone. Cette dernière comprend plusieurs mesures telles que l’adoption de pratiques visant à diminuer les voyages en avion, le recyclage de matériel informatique, l’utilisation prédominante d’énergies renouvelables, la promotion de solutions de mobilité durable auprès du personnel, et l’engagement envers une collaboration écoresponsable avec les fournisseurs, le tout dans le but d’obtenir la certification SBTi grâce à la méthode ACT.

La responsabilité environnementale d’EPSA a été validée par le CDP, une autorité mondiale qui évalue les entreprises sur la gestion de leur empreinte carbone. La responsable RSE chez EPSA met en lumière l’importance de cette reconnaissance, affirmant qu’une évaluation favorable par le CDP atteste de la pertinence et de l’orientation positive de leurs initiatives environnementales.

Cependant, malgré ces avancées positives et tangibles, EPSA a choisi de limiter sa communication externe sur ces sujets. La principale préoccupation réside dans la possibilité d’être critiqué pour des éléments marginaux de leurs initiatives. Il est indiqué que certaines mesures, bien qu’ayant significativement contribué à la réduction de l’empreinte carbone de l’entreprise, pourraient être perçues comme opportunistes, en particulier si elles sont indirectement associées à des événements externes tels que la pandémie de Covid. Cette appréhension reflète le défi du green hushing : la peur d’être jugé pour ne pas en faire suffisamment ou d’être mal interprété, même lorsque les efforts déployés sont substantiels et sincères.

Qu’est-ce qui pourrait réduire le « green hushing » ?

La transparence en matière de pratiques environnementales est sur le point de connaître une évolution majeure. D’ici 2025, l’Union européenne rendra obligatoire la divulgation d’informations relatives au climat pour un éventail plus large d’entreprises qu’auparavant. De même, aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission prévoit d’introduire des normes de divulgation plus exigeantes d’ici 2024, ciblant initialement les grandes entreprises cotées en bourse avec une capitalisation minimale de 700 millions de dollars. Ces mesures restrictives pourraient limiter la marge de manœuvre des entreprises pour le « green hushing ».

Cependant, l’omission de communiquer sur les initiatives positives pourrait-elle être préjudiciable aux entreprises, sachant que certaines de ces actions pourraient servir d’exemple à d’autres ? « Effectivement, cela est regrettable, car cela pourrait encourager les concurrents à entreprendre leur propre transformation. Néanmoins, il est également bénéfique que ces informations soient réglementées pour prévenir les allégations mensongères. Toutefois, la communication sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) nécessite des compétences spécialisées, soulignant l’importance pour les entreprises d’investir dans des professionnels dédiés », souligne la responsable RSE chez EPSA.

Trois recommandations essentielles pour toute entreprise désirant communiquer efficacement sur sa politique RSE :

  • Viser haut dans les objectifs ;
  • Faire preuve de transparence quant aux méthodes de calcul utilisées ;
  • Et adopter une attitude d’humilité en reconnaissant que les efforts ne sont jamais totalement parfaits ;

Newsletter